Femmes seules : solitude choisie, ou subie (Partie 1)
- Fodabi
- 5 déc. 2018
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Elles la revendiquent et la regrettent, l’aiment et en souffrent, souhaitent la rompre mais craignent la rencontre… Dans tous les cas, les femmes vivent leur solitude comme une pause imposée par la vie, une plongée en soi. Qu’il faut mettre à profit pour plonger au fond de soi. Confidences de femmes seules.

Un débat passionné, à la mesure des préjugés et des fantasmes que l’on plaque sur les femmes seules. Aujourd’hui, elles sont devenues un phénomène de société en évolution. A ce titre, elles échappent aux caricatures qu’elles suscitaient auparavant. Finies les rosières et les vieilles filles handicapées du cœur et des sens. Mais finies également les "célibattantes" conjuguant célibat et réussite professionnelle, écrasant les hommes sous leurs talons aiguilles et noyant leurs angoisses dans des gin-fizz… Actuellement, rares sont celles dont la solitude est un choix de vie. Et beaucoup pressentent qu’elles peuvent être amenées à la vivre, un jour ou l’autre, comme une pause entre deux histoires d’amour, un temps de calme avant que le cœur ne se remette à battre.
La solitude refuge
« Comme beaucoup de monde, j’ai commencé par vivre en couple, raconte Danièle, 50 ans. Cela a duré six ans. À 30 ans, je me suis retrouvée seule, et cela n’a pas changé depuis. J’ai vécu d’autres belles histoires, mais toujours “chacun chez soi”, entrecoupées de périodes de célibat. La solitude n’a jamais été une souffrance pour moi puisque, succédant à des ruptures inévitablement douloureuses, elle était un apaisement, un repli vital. »
La solitude peut même être un soulagement, comme pour Elsa, 38 ans, qui apprend à vivre seule après deux ans de bataille dans un divorce douloureux : « J’aspirais tellement à sortir de ces incessants conflits que je savoure ma solitude. Bien sûr, elle est peuplée, puisque j’ai deux jeunes enfants ; elle est parfois angoissante parce que je dois brutalement faire face, seule, à des soucis matériels et pratiques. Mais que l’on ne me parle pas d’un homme dans ma vie. Cela viendra sans doute un jour, mais, pour l’instant, je suis dans le rejet. »
Vécue comme le deuil à faire d’une histoire d’amour, la solitude des "désaimées" est souvent douloureuse. Lorsque, après trente-cinq ans de mariage, son mari est parti avec une femme plus jeune qu’elle, Jeanne, 62 ans, s’est écroulée : « Dans les six mois, j’ai déclaré un cancer du sein. Mon chirurgien m’a expliqué combien ce type de cancer pouvait être consécutif à un choc émotionnel violent. J’ai décidé qu’après m’avoir blessée, mon mari ne me tuerait pas. J’ai le souvenir de mois terribles où j’ai réalisé que je n’avais vécu que pour lui et nos enfants. A près de 60 ans, il me fallait découvrir la solitude et l’apprivoiser. Aujourd’hui, je la savoure comme une sécurité : je ne m’inquiète plus des réactions de l’autre, je ne suis plus dans l’attente, je ne rends de comptes à personne. Pour une femme de mon âge, apprendre à vivre seule, c’est une renaissance et une rééducation en même temps. »
La solitude souffrance
Qui dit rééducation dit souffrance, combat contre des inhibitions profondes. Emma, 33 ans, seule depuis six ans, se souvient de l’angoisse qui la saisissait, les premiers temps, à sa table de petit déjeuner : « Se lever seule, se retrouver seule devant son bol de café, ne parler à personne avant d’arriver au boulot, ça fait peur. Parfois, on se sent prête à tout pour que ça cesse. Et puis, on s’habitue. » Le premier resto, le premier ciné, les premières vacances toute seule… autant de victoires acquises sur des murs que l’on pensait infranchissables. Lentement, la vie se structure autour de la solitude, on apprend à trouver le juste équilibre. Un équilibre parfois précaire : « Cette solitude que je vis avec sérénité la plupart du temps m’est renvoyée à la figure quand je tombe amoureuse d’un homme et que ce sentiment n’est pas réciproque, raconte Claire, 45 ans. Dans ces moments-là, les inquiétudes sur l’avenir reviennent avec violence. Suis-je seule ad vitam aeternam ? Et pourquoi suis-je toute seule ? Cette rencontre qui n’aboutit pas me renvoie brutalement à la faille, au manque. »
On peut aller chercher la réponse au « pourquoi suis-je seule ? » dans les injonctions de l’entourage, des parents ou des copines. Et faire siennes des remarques comme : « Tu es sûre que tu n’es pas trop exigeante ? », « Evidemment, tu ne sors jamais ! », « Pourquoi tu n’essayes pas les petites annonces ? » Et la culpabilité s’installe, accentuée par ce que Françoise, 52 ans, appelle « les humiliations sournoises » : « Nous sommes coincées entre le regard étonné de nos proches et le leurre entretenu par les médias sur la bonne humeur sans faille de ces jeunes femmes seules, jolies, intelligentes, cultivées, hyperactives, libres de leur temps, éprises de leur indépendance et au top niveau de leur profession… Le célibat a un poids, celui de la solitude et de l’injustice. Car la femme seule est celle qui contrarie les plans de table, menace la paix des ménages, paye au prix fort ses vacances, se voit reléguée à la plus mauvaise table au restaurant, et se doit d’être disponible en famille pour s’occuper des vieux parents et au travail pour pallier les imprévus. Et, à l’âge de la carte Vermeil, si le “vieux” possède encore certains attraits, la “vieille” devient transparente. »
Sans compter que les premiers cheveux blancs annoncent l’emballement de l’horloge biologique. « Soyons honnêtes, dit Patricia, 39 ans. Jusqu’à 35 ans, c’est sympa le célibat entrecoupé de relations dites “passionnelles”, mais dans les années qui suivent se pose la question de la maternité. Elle vire à l’obsession parce que, partie d’une solitude plus ou moins voulue, on arrive devant un choix à faire : avoir un enfant seule ou prendre le risque de ne jamais en avoir. » C’est souvent le moment où certaines comprennent qu’il est temps de faire le point sur elles-mêmes. Pour Annie Rapp, psychothérapeute, « la maternité renvoie les femmes seules à ce qui a empêché la rencontre, ce qui a retardé la formation du couple. On découvre alors des traumatismes d’enfance classiques. Rien qu’une psychothérapie ne puisse soigner. »
Une mère qui nous a inculqué que les hommes n’étaient pas fiables, un père absent, un couple parental fusionnel… autant de traces inconscientes qu’il faut parfois découvrir. Cléo, 30 ans, a fait cette démarche : « Je savais que je vivais l’amour comme une dépendance, mais j’ai voulu comprendre pourquoi. J’ai donc commencé une thérapie pour régler mes problèmes avec les hommes et la mémoire d’un père violent. Grâce à la thérapie, je vis ma solitude comme un cadeau que je me fais. Je m’occupe de mes envies, de mes désirs, de moi. Je reste en contact avec moi-même plutôt que de me perdre dans l’autre. »
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